Les objets, quils soient monuments dans la ville,
meubles dans la maison, vêtements à léchelle du
corps, outils de la vie quotidienne, accompagnent lhumain depuis toujours.
Depuis toujours aussi, ils se modifient en fonction des progrès,
des civilisations, des cultures.
Aujourdhui, après la révolution de lère
industrielle, apparaissent les mutations profondes liées à
lémergence dobjets intelligents (satellites, ordinateurs,
fax, cartes à puce...), aux questions vitales posées par une
terre qui sépuise en énergie, à lapparition
de marchés liés à la qualité de lobjet,
à sa signification et non plus à son seul usage.
Ces bouleversements amènent-ils ou non les chefs dentreprise
à repenser leur activité ?
Cette activité devient-elle une mission, à linstar des
concepteurs, des architectes et des designers, dont le rôle nest
plus celui dune création isolée, liée à
lexistence dun produit, mais la manifestion dune pensée,
dune réflexion sur le monde daujourdhui ?
Cet ouvrage tend moins à démontrer une théorie, défendre
un parti ou dégager des solutions adaptées quà
souligner un état de fait, révéler des contradictions,
interroger des paradoxes. Il met en lumière cette relation productive,
nécessaire et créative, qui est - ou devrait être, plus
largement que dans les neuf cas de figures exemplaires présentés
ici - celle de lindustrie et de la création.
Le même et le différent
La logique la plus préhensible de lindustrie
se résume au principe de la série. Petite, moyenne ou grande,
cest la répétition du même qui dégage
des marges bénéficiaires et permet à loutil industriel
de perdurer dans la stricte loi de rentabilité qui est la sienne,
garante de son existence et de sa survie.
Pendant quelques décennies, la logique dentreprise axée
sur les coûts se présentait sous deux aspects :
Dun côté, les coûts de production, de lautre,
et pour permettre au produit dexister, la publicité, autant
dire la communication du produit au plus grand nombre.
Petit à petit pourtant, les entreprises les plus sensibles aux changements
de société ont commencé à percevoir la nécessité
de lidentité du produit. Et peu à peu, le
produit est lui même devenu sa communication, il sest chargé
de sens, de signes, daffect, à lopposé de la pure
théorie fonctionnaliste, sans pour autant bannir la fonction. Mais,
parallèlement à la nécessité doffrir des
objets narratifs, se sont affirmées les différences.
Aujourdhui, les industries davant-garde ne pensent plus en fonction
dun marché mais de plusieurs marchés, regroupant des
identités culturelles variables.
Le produit novateur et le produit balisé
Pour concevoir ce produit différent, les industriels
font appel aux designers, ces créateurs qui acceptent une part de
risque et nenvisagent pas lobjet dans la seule dialectique du
fonctionnement et de lesthétique. Ils y ajoutent un jeu éthique
qui va de lart à lusage - ou de lusage considéré
comme un art.
Alors se pose léternelle question du temps.
Jusqu'à quel point un produit novateur est-il acceptable par un marché
alors même qu'il vise à le renouveler ?
Et bien sûr la forme ou lapparence ne sont pas seules en cause,
mais aussi la fonction et le concept même de cet objet, de son usage
et de son image.
Jeu de miroir entre lindividu et lobjet, qui répond à
une demande ou la révèle, ou même linvente.
Cest à cette interface entre le connu et le nouveau, le passé
et lavenir, le programme et le projet, que se situe le travail des
createurs
Lirrationnel et le rentable
La création contient sa part nécessaire dirrationnel.
Quelle que soit leur démarche, les designers, les architectes et
les créateurs évoquent le moment dintuition quaucune
pensée, aucune théorie ne peut circonscrire. Le processus
le plus rationnel, le plus structuré et le plus conscient des contraintes
passe par cette phase qui ne peut sobjectiver, mais qui définit
précisément le créateur, sa capacité à
cristalliser toutes les données en une alchimie personnelle, à
nulle autre semblable.
Ce discours du mystère, du langage et de lémotion est
aux antipodes de luniformisation. Et pourtant, aussi diversifiée,
intelligente quelle soit, la démarche de lindustrie passe
par luniformisation, qui lui est inhérente.
Le dialogue entre industriels et créateurs est ainsi le résultat
dun paradoxe, que le produit à la fois exprime et dépasse
lorsquil atteint son but. Mais comment ces protagonistes contraires
et indissociables saffrontent-ils, se confrontent-ils et sentendent-ils
pour créer, ensemble, un produit ?
Sur le mode du dialogue, qui est peut-être la forme la plus proche
de ce que ce livre tend à mettre en lumière : la relation,
les neuf industriels et les neuf créateurs relatent leur vision
et définissent leur place, offrant chacun un angle de vue différent,
puis l'histoire d'un produit mené à bien en commun.
A linterface de ces deux discours demeurent les questions, les domaines
à explorer, les pleins et les vides, à la fois la magie
et le réel, dun champ de réflexion et de réalité
qui concerne lensemble de léconomie et de lenvironnement.
L'enjeu est concret.
Lenjeu
Pour les industriels, la rentabilité passe aujourdhui par
des défis qui ne sont plus ceux de la seule consommation. Celle-ci
requiert de nouvelles attitudes.
Ainsi, la fin du XX ème siècle verra-t-elle peut-être
se réaliser lutopie des modernes : la rencontre du beau et
de lutile, le passage de la quantité dobjets et de
la surconsommation à la qualité intrinsèque dobjets
polyvalents.
De même se précise le rôle culturel de lindustrie.
Elle façonne lenvironnement immédiat et lenvironnement
futur. Chargée de sens, la production devient discours sur le réel,
et culture du présent en marche. Pourtant, issue de lartisanat,
puis des manufactures et enfin de la production en grande série,
elle se doit dassurer la continuité, lentente entre
tradition et modernité.
Pour les créateurs, lenjeu nest pas moindre. Certains
dentre eux réfléchissent à ce quils appellent
la disparition. Encombré, parasité par un surnombre
dobjets, le monde est voué à étudier le minimum.
Minimum de matière, maximum de service. Le chapitre consacré
à la carte à puce électronique relève de cette
logique. Lobjet nest plus que surface tandis que la fonction,
intériorisée et invisible, prend le relais de lintelligence.
Pourtant, un langage des objets demeure, plus que jamais, nécessaire,
écho, reflet ou révélateur des identités.
Entre objet sensible, pensé avec sa part dirrationnel et
objet de pure immatérialité, de stricte intelligence, où
se situent aujourdhui le projet et sa signification ?
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